Louky Bersianik, Jeanne Hyvrard et Assia Djebar : prennent leur place de sujet dans la langue colonisatrice
Date
1989
Authors
Grundmann, Erika Anna Elisabeth
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Abstract
La condition feminine e st souvent comparee a la situation col oniale Les femmes eprouvent les memes circonstances d' oppressi on qui caracterisent l'existence des colonises manqu e d'identite, reification, amoindrissement, aneantissement, exclusion de l'histoire Le droit de nommer ayant ete saisi par les hommes (les maitres), les femmes, comme des colonises, ont ete reduites au silence La colon i alisation du XI Xe siecle et du XXe siecle s'est progressivement termi nee apres la Deuxieme Guerre Mondiale, de 1948 aux envi rons de 1960 la grande maJorite des pays colonises ont accede a l'independance. Les repercussions de ces mouvements de l i beration se sont manifestees dans un refus de l'autor1te (meme celle de l'Eglise catholique la r eact i on contre les decrets du Concile du Vati c an (1962-1 965 ), par exemple) sur tousles continents le mouvement des d roits civiques et de "Black Power" aux Etats-Un 1s, l a Revol uti on tranqu1lle au Quebec, le mouvement fem1n1ste declenche par "Mai 68" a Paris Tous ces mouvements de liberation ont donne au mouvement fem1n1ste un vocabula1re image de la lutte des femmes qui parlent de colon1sat 1on, de consc1ent1sat1on, de revolte, de revolution et de guerre de liberation.
Apres le debut du mouvement feministe "radical," le mouvement le plus recent, beaucoup de femmes, comme des colonises revoltes, ont brise le silence Elles se sont lancees dans une entreprise de decouverte de soi Elles se sont mise a la recherche d'une voix individuelle ainsi que d'une voix collective de la part des autres opprimees. C'est au moyen de l'ecriture qu'elles ont pu briser le silence et prendre leur place comme suJet. C'est au moyen de l'ecriture qu'elles ont pu reclamer la place meritee des femmes dans l'histoire de laquelle e l les avaient ete exclues.
Pour ces femmes qui a v aient choisi l'ecriture, la langue qui etait l'instrument de domination de l'oppresseur est devenue l'instrument de liberation Pourtant, pendant qu'elles se livraient a cette entreprise dangereuse (selon Nicole Brossard, chaque femme qui prend sa place comme suJet est une subversive) et enivrante (il n'y a rien de plus enivrant que le gout de la liberte), elles se sont rendues compte que la langue qui leur ouvrait la porte a la liberte leur etait hostile Cette t hese vise a montrer comment un roman en particulier de chacu ne de trois ecrivaines contemporaines de langue fra n caise depeint, entre autre, le rapport qu'avait l'ecrivaine a vec la langue francaise, comment elle a surmonte les obstacles linguistiques personnelles et comment elle a trouve sa voix d'auteure.
Pour chacune des ecrivaines, ce roman a ete un tournant de sa vie de femme colonisee Louky Bersianik, auteure quebecoise, dans son roman L'Euguelionne, Jeanne Hyvrard, ecrivaine fran~aise, dans Les Prunes de Cythere et Assia DJebar, romanciere algerienne, dans L'Amour, la fantasia, prennent toutes leur place comme suJet et tentent de re-donner aux autres femmes la voix qui leur avait ete etouffee Elles le font dans un contexte de leur vecu du colonialisme reel, soit directe soit indirecte, au Quebec, aux Antilles et en Algerie Malgre l'hostilite que leur transmet la langue colonisatrice, elles persistent dans leur revolte, elles prennent leur place de suJet, elles exhument les voix ensevelies des aut res opprimees tout en communiquant une determination et un optimisme circonspects.